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Suite à la sortie de la série, interview avec Thomas Philippart

Photo : Astrid Jamois

Vous avez pu suivre la web-série documentaire J'irai Sonner Chez Vous diffusée par mesvoisins.fr entre le 15 et le 19 Juin 2020. Aujourd’hui, le réalisateur revient sur ce film qui a changé sa vision des relations entre voisins.

Thomas Philippart. ©Photo : Astrid Jamois

Thomas, 35 ans, vit dans un immeuble parisien depuis 6 ans et suis une formation d'écriture et réalisation audiovisuelle. À la fin de ses études, il doit produire un documentaire court, ce qu'il l'amène à réaliser ce film dans lequel il rencontre enfin ses voisins.

Nous avons pu questionner Thomas sur les raisons qui l'ont poussé à réaliser un tel film, et surtout, en quoi cela a modifié sa manière d’appréhender son lieu de vie et son voisinage.

Mesvoisins.fr : Bonjour Thomas ! Merci pour ce documentaire qui illustre parfaitement ce qu'on gagne à connaître et rencontrer ses voisins. Tu étais étudiant à ce moment-là, comment en es-tu venu à réaliser ce type de documentaire ? 

Thomas Philippart : J’ai eu plusieurs cordes à mon arc dans le milieu, auparavant je travaillais pour la télévision, comme directeur de casting. De base je suis comédien et j’écris aussi beaucoup, surtout des fictions. Je me suis intéressé au format documentaire qui me plaît beaucoup, c’est une autre façon de s’exprimer à travers ce média. J’ai donc suivi une formation d’écriture et de réalisation documentaire. Au sein de cette formation, il nous a fallu réaliser un documentaire en format court, qui devait être personnel, au plus proche de nous. Pour qu’un documentaire soit intéressant, je pense qu’il faut être partie prenante dedans. 

MV : C'est pour cela que tu as décidé de te mettre toi-même dans la situation délicate d'aller à la rencontre de tes voisins ? 

T.P. : Un peu ! En réalité tout s'est passé de manière assez soudaine, et c'est souvent de situations non-voulues qui démarrent les bonne idées. Au début, je n'avais aucune inspiration sur le documentaire que je voulais réaliser. Et puis je me suis fait cambrioler : je rentre d'un weekend et je me rends compte qu'on avait pénétré dans mon appartement et volé des affaires. Ma porte est restée grande ouverte pendant deux jours, et personne ne s'en est soucié, personne ne m’a prévenu. Je me suis aperçu ce jour-là que je ne connaissais pas mes voisins alors que ça faisait six ans que j'habitais cet immeuble. Les connaître aurait pu tout changer sur ce cambriolage. J’ai décidé de partir à leur rencontre. On vit dans le même immeuble, on partage la même surface de vie, mais au fond, qui sont ces gens ?

MV : Avant ce cambriolage, ce n'était pas forcément un thème qui te touchait ?

T.P. : J’avais déjà réfléchi à des thèmes plus larges liés à la problématique du voisinage, comme l’individualisme dans notre société, la solitude, mais pas au voisinage en tant que tel. Ce cambriolage m’a vraiment fait réaliser que si au temps de ma grand-mère tous les voisins se connaissaient, aujourd’hui avec mes voisins, on n’avait même pas échangé les numéros. Mais c'est un truc global : aujourd’hui, ça nous est un peu tous égal de connaître nos voisins. Alors qu'ils restent quand même la première source d'aide en cas d'urgence. 

MV : Dans le film, on voit que tu as fait la démarche de contacter les voisins par écrit et par téléphone avant d'aller sonner chez eux avec la caméra. Les premières prises de contact ne sont pas forcément évidentes, et apparemment, certains ont changé d’avis au fur et à mesure ? 

T.P. : C’est vrai que les prises de contacts m’ont demandé de prendre mon courage à deux mains ! J’ai commencé en effet par rédiger une lettre manuscrite que j’ai glissée dans toutes les boîtes aux lettres. Puis je suis allé faire du « porte à porte » dans mon immeuble, ce qui n’était pas une chose facile. À chaque nouvelle porte, je prenais une grande inspiration, j’appréhendais les réactions de mes voisins. D’ailleurs certains m’ont fermé la porte au nez (rires) et c’était important que ces réactions apparaissent aussi dans le documentaire. J’ai aussi eu des gens qui étaient d’accord un jour et pas le lendemain, comme l’artiste assez fantasque du deuxième étage, mais au final il s’est prêté au jeu ! 

Je pense que c’est une question de personnalité et de confiance aussi. Il y a des personnes qui m’ont dit oui tout de suite. Madame Collet par exemple ! 

Une dame seule qui ouvre sa porte à un homme et sa caméra, c'est plutôt impressionnant. J’ai beaucoup pensé à elle pendant le confinement.

MV : Oui ! On voit dans le film qu'elle est contente de cette visite. Et les pâtisseries qu'elle est allée acheter pour l'occasion, c’était vraiment adorable.

T.P. : C'est clair. J’ai aussi tenté de me montrer à la hauteur de la confiance qu’elle m’a accordée. J’ai répondu à sa demande après le tournage du film et et je suis allé régulièrement lui filer un coup de main avec son ordinateur, jusqu’au jour où j'ai déménagé. Une dame seule qui ouvre sa porte à un homme et sa caméra, c'est plutôt impressionnant. On sentait que la solitude lui pesait. J’ai beaucoup pensé à elle pendant le confinement. 

À la porte de Madame Collet. Extrait du film J'irai sonner chez vous

MV : Cet immeuble que tu habitais a une histoire particulière, et c'est en rencontrant tes voisins que tu l'apprends. Notamment qu'ici a vécu le sociologue Edgar Morin.

T.P. : Oui, ce qui est peu commun, c’est que ce monsieur a consacré un livre à notre immeuble, et d'un coup ça a donné une autre dimension au film. C'est ce qui est passionnant dans le documentaire : le film dépasse souvent le scénario ! Tout le monde n’était pas au courant pour Edgar Morin, le couple âgé et mon voisin direct l'ont connu, mais ma jeune voisine pas du tout. J’ai été très surpris de voir que mon voisin étudiant savait qui était Edgar Morin. Et lorsqu'il a sorti comme ça de but en blanc une longue citation, j'en ai fait une tête ! J’étais trop content qu'on ait filmé ça (rires). Sur le reste du tournage j’ai eu envie de faire lire à mes jeunes voisins des passages du livre d'Edgar Morin dans lesquels il parle de notre immeuble, pour montrer la dimension de temps qui passe et de générations qui se suivent au numéro 54, et pour continuer à transmettre ces écrits… J’ai contacté Edgar Morin à propos du documentaire, il était intéressé pour intervenir dedans, mais il commence à être assez âgé et fatigué. C’est un petit regret mais je suis heureux d’avoir ce lien particulier entre ce monsieur brillant et l’immeuble dans lequel j’ai vécu.

MV : Dans le documentaire, au moment où tu demandes si tes voisins ont envie de créer plus de liens entre eux, on te répond : « si j’ai le temps » ou « je suis trop vieille ». Pourquoi, d’après toi, les relations avec les personnes au plus proche de chez nous passent souvent au second plan ? 

T.P. : Je pense que tout le monde est pris par sa vie, son quotidien, sa routine… Aller à la rencontre des gens c’est se faire violence, d'une certaine manière. C'est pas évident pour tout le monde. Si je n’avais pas eu à faire ce documentaire, je ne suis pas sûr que je serai allé à la rencontre de mes voisins.

C’est peut-être aussi plus dur dans les grandes villes, où le lieu de vie devient parfois seulement le lieu où l’on dort, pas celui où on tisse des relations sociales. L’architecture des villes joue aussi. J’aurais adoré faire une espèce de réunion à la fin de mon documentaire avec tous les voisins, mais j’habitais dans un studio minuscule, il n’y avait pas de cour intérieure, on n'avait pas d'espace pour se retrouver, et le manque d'espace, ça rend tout cela très compliqué. J’ai récemment déménagé à Marseille, je n’ai pas encore eu l’occasion de me présenter autour de chez moi, mais il faut un peu se forcer. C’est sûr que c’est plus facile quand il y a déjà un voisin dynamique, qui est un peu l’élément fédérateur et générateur de la bonne ambiance dans un immeuble.

Derrière la porte m’attendaient souvent de superbes moments. Les contacts sont bruts, vrais et sincères, pour moi c’est ça la vraie beauté de ces rencontres.

MV : Tu parlais au départ du fait que ta grand-mère, elle, connaissait ses voisins. Penses-tu que les voisins étaient plus solidaires ou du moins se connaissaient davantage avant ?    

T.P. : Je ne suis pas complètement sûr. Oui peut-être dans les villages, les gens se connaissaient et se parlaient davantage. Ma grand-mère pour le coup était institutrice dans un petit village, alors forcément, tout le monde la connaissait ! Dans un milieu urbain c’est peut-être différent, mon autre grand-mère habitait à Paris à la même époque et elle avait peu de liens avec ses voisins.
Je trouve que les gens ont un peu peur d'aller vers les autres maintenant. Que ce soit dans les films ou les médias, on est entourés d’images qui créent cette peur, cette méfiance de l’inconnu, de l’étranger, avec un monde fait d'images qui entretiennent peut-être une forme de paranoïa ? Mais c’est important, que ce soit dans l’espace rural ou dans une ville, où que l'on soit, d’aller se présenter à ses voisins, de créer des liens avec eux, c’est une démarche qui n’est pas facile mais nécessaire !

MV :  Est-ce que cette expérience a changé ta définition de ce qu’est un voisin ou une voisine ?

​« C’était vraiment incroyable d’aller à la rencontre de mes voisins.​ »

T.P. : C’était vraiment incroyable d’aller à la rencontre de mes voisins. C’est toujours enrichissant de faire la connaissance de gens différents de soi. On choisit ses amis, mais pas ses voisins, ce sont parfois des personnes qui ne nous ressemblent pas, parfois beaucoup plus qu'on s'y attendait, et c’est dans ces rencontres que se cachent les plus belles surprises.
Ça m’a aussi permit de dépasser une certaine forme de timidité : même si je devais prendre une grande inspiration avant de toquer, derrière la porte m’attendaient souvent de superbes moments. Les contacts sont bruts, sont vrais et sincères, pour moi c’est la vraie beauté de ces rencontres.

MV : Et ce que tu envisages pour la suite ?

T.P. : J’ai maintenant déménagé à Marseille, je vais continuer à écrire des projets de documentaires liés à cette ville, mais aussi sur la thématique de l’importance du lien social, de la lutte contre la solitude. Cette expérience a fait naître en moi le besoin réel maintenant d’aller à la rencontre des gens, à commencer par mes voisins ! 

Un immense merci à Thomas qui nous a permit de diffuser J'Irai Sonner Chez Vous, un documentaire que vous pouvez retrouver ci-dessous en intégralité. 

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Retrouvez la web-série dans son intégralité

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Louise Thomas | mesvoisins.fr

Louise a fait de la solidarité sa priorité dans la vie. Son engagement et sa diplomatie font d’elle une bonne fée qui agit pour plus d’entraide et de bienveillance dans les quartiers. Diplômée de haute école et travailleuse efficace, elle met toute son énergie au service du lien social entre voisins. Au fond, elle est convaincue que la curiosité et le rapprochement avec les autres est la solution à tout !